Amiante dans les sols : des approches nationales divergentes

par | Juin 3, 2025 | Réglementation Amiante Environnemental

La problématique de la gestion des sols contenant de l’amiante, qu’il soit d’origine naturelle ou issu de résidus industriels, constitue un enjeu environnemental et sanitaire majeur, en particulier au Québec où l’exploitation minière de l’amiante laisse un passif important à gérer, dans un contexte géologique très favorable à la présence d’amiante naturel.

Un récent avis de l’Observatoire national de l’amiante (ONA) daté d’avril 2025 se penche sur cette question cruciale, au travers d’une analyse de la réglementation en vigueur dans divers pays du monde, dont la France.

Avis de l'ONA sur les règles de gestion des sols et remblais contenant de l'amiante

Le contexte québécois : une singularité face à la « Tolérance Zéro »

Le Québec a adopté une position réglementaire stricte, qualifiée de « tolérance zéro », concernant les sols contaminés par l’amiante.

Cette directive impose le retrait systématique de toute terre excavée dès la détection d’une fibre d’amiante, pour un acheminement vers un site de décharge autorisé.

Si cette approche vise une protection maximale, elle se heurte à des difficultés pratiques et économiques considérables, surtout dans le cadre de grands projets d’infrastructure ou de réhabilitation de sites miniers. La spécificité québécoise réside dans son passé d’exploitation minière de l’amiante, ayant engendré d’importantes quantités de résidus miniers amiantés, parfois utilisés historiquement comme remblais. Cette réalité géologique et industrielle rend la politique de « tolérance zéro » particulièrement difficile à appliquer, voire « inapplicable dans un contexte de résidus miniers amiantés ».

Une exception notable concerne la région de Thetford Mines, qui bénéficie d’un régime particulier reconnaissant l’omniprésence de l’amiante dans les sols (90% des excavations sont dans un contexte avec ≥0,1% d’amiante). Le rapport du BAPE (2020) soulignait déjà l’irréalisme d’une décontamination complète de la région, recommandant la réutilisation de sols amiantés localement sous conditions. Néanmoins, le guide d’intervention actuel restreint cette réutilisation aux sols avec moins de 0,1% d’amiante, sous couverture de confinement. Cette rigidité contraste avec la volonté de valorisation des sols contaminés prônée par d’autres lignes directrices québécoises et ne propose pas de cadre pour l’évaluation des risques spécifiques aux travaux de réhabilitation.

Panorama international : diversité des approches et limites pour les contextes naturels et miniers

L’analyse des cadres réglementaires internationaux révèle une absence de consensus ou de modèle unifié pour la gestion des sols amiantés.

Les définitions, seuils et approches varient considérablement d’un pays à l’autre.

A noter que de nombreux cadres se concentrent sur les matériaux de construction contenant de l’amiante (MCCA), négligeant la problématique spécifique des terrains naturellement amiantifères ou des résidus miniers, habituellement absente dans les pays sans passé d’exploitation (mais que l’on retrouve en France ou en Italie).

Aux États-Unis, l’agence de protection de l’environnement (EPA) a un cadre pour les matériaux contenant de l’amiante mais n’a pas défini de seuils de dépistage basés sur les risques pour l’amiante dans le sol. La corrélation entre concentration dans le sol et libération de fibres dans l’air est multifactorielle.

En Europe, le rapport NICOLE (2021) confirme l’absence d’harmonisation. Certains pays comme la Belgique ont une approche graduelle basée sur la teneur en fibres (ex: réutilisation possible sous 100 mg/kg avec précautions, limitée aux sites industriels entre 100 et 500 mg/kg, et élimination au-delà).

D’autres, comme la France, exigent l’envoi en installation de stockage de déchets dangereux pour les terres polluées par l’amiante.

L’Italie fixe un seuil de 1000 mg/kg (0,1%) pour tous sites.

Ces divergences, même pour des valeurs seuils apparemment identiques, illustrent la complexité et le manque de fondement scientifique ou méthodologique solide et partagé.

Vue aérienne de Thetford Mines
Thetford Mines (Québec)

Vers une gestion différenciée et basée sur le risque : enseignements et bonnes pratiques

Face à ce constat, les approches les plus innovantes tendent vers une évaluation détaillée du contexte spécifique de chaque site. Ceci inclut la prise en compte des caractéristiques du site et de la contamination (type et concentration d’amiante, y compris sa nature géologique), des dimensions pratiques des travaux (coûts, faisabilité) et une analyse comparative des risques des différentes méthodes.

L’Océanie offre des exemples intéressants. L’Australie-Occidentale fixe une limite à 0,1%, au-delà de laquelle une gestion s’impose, privilégiant la minimisation des risques d’exposition et la réduction des volumes en décharge. La Nouvelle-Galles du Sud préconise une évaluation des risques basée sur l’historique du site et un Modèle Conceptuel du Site (MCS). La Nouvelle-Zélande, s’inspirant de l’Australie, recommande un plan détaillé fondé sur une approche graduelle, où le maintien sur place, sous gestion rigoureuse, peut être une option viable.

Les méthodes de réhabilitation conventionnelles incluent l’excavation et l’évacuation (la plus courante mais questionnée pour sa durabilité), le confinement in situ ou ex situ, ou le traitement des matériaux. Le groupe NICOLE recommande une approche durable basée sur l’évaluation des risques et bénéfices à long terme, la réutilisation, la réduction des déchets, l’efficacité des traitements et la faisabilité. Il souligne l’intérêt du prétraitement sur site pour réduire les coûts et les volumes à évacuer.

Des méthodes alternatives comme la bioremédiation sont explorées mais restent encore peu matures pour une application à grande échelle sur des terres naturellement amiantées ou des résidus miniers. Le cas de la relocalisation de la route 112 au Québec, impliquant la gestion d’1,5 million de m³ de stériles miniers amiantés avec végétalisation des talus, illustre une gestion pragmatique à grande échelle dans un contexte complexe, exemptée de la procédure d’évaluation environnementale standard pour des raisons de sécurité publique.

Recommandations pour une stratégie québécoise adaptée aux réalités géologiques et industrielles

L’application directe de modèles étrangers au Québec est difficile, vu la spécificité de son contexte géologique minier et les lacunes des réglementations internationales elles-mêmes. L’enjeu des résidus miniers amiantés, si prégnant au Québec, est souvent absent des préoccupations internationales. Néanmoins, les approches émergentes, favorisant une évaluation contextuelle approfondie, sont prometteuses.

Pour le Québec, l’avis de l’ONA préconise le développement d’un cadre de gestion spécifique et d’un organigramme décisionnel. Les recommandations s’articulent autour de :

  • Le développement d’une approche québécoise d’évaluation des risques spécifique, s’inspirant de projets antérieurs comme celui de la route 112. Cela permettrait de mieux appréhender les risques réels liés aux fibres issues de TNA ou de stériles miniers, qui peuvent différer de ceux des MCCA.
  • L’élaboration d’une gestion contextualisée tenant compte des particularités nationales (histoire minière, utilisation de l’amiante) et locales de chaque site. Pour un géologue, cela signifie intégrer la cartographie des TNA, la nature des encaissants, et la typologie des résidus.
  • La priorisation d’options combinant durabilité et sécurité, avec évaluation systématique des coûts-bénéfices.
  • La conception d’un organigramme décisionnel pour sélectionner la stratégie optimale selon le niveau de risque et les objectifs, en s’inspirant par exemple des standards australiens et néo-zélandais de gestion des risques (AS/NZS 4360:2004).

L’ONA conclut qu’une approche pragmatique, scientifiquement étayée et adaptée aux caractéristiques géologiques et au passif industriel du Québec est indispensable. Plutôt qu’une « tolérance zéro » généralisée, une gestion au cas par cas, basée sur l’évaluation rigoureuse des risques et la faisabilité technique et économique, semble la voie la plus pertinente pour concilier protection de la santé publique, préservation de l’environnement et développement socio-économique, notamment face à l’omniprésence de l’amiante dans certains contextes géologiques.

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